Face aux difficultés de recrutement de soignants, le CHU de Martinique intègre différentes applications d’intelligence artificielle pour accompagner le travail de ses équipes. Des solutions qui permettent également de sécuriser le diagnostic des praticiens et d’améliorer la prise en charge des patients. Les explications de Rodrigue Alexander, directeur du pôle transformation numérique, qualité, relations avec les usagers et recherche de l’établissement.
ITPublic : Le CHU de Martinique intègre des applications d’intelligence artificielle générative pour accompagner le travail de ses équipes médicales. Pourquoi avez-vous souhaité vous engager dans cette voie ?
Rodrigue Alexander : Nous devons faire face à des fragilités liées à notre insularité. Face au défi de l’attractivité, à l’éventuelle difficulté pour maintenir nos spécialités dans de bonnes conditions, nous ne pouvons pas passer une convention avec un établissement voisin ou faire faire du temps partagé à des professionnels de santé. Nos regards se tournent donc vers la transformation numérique. Nous parlons sans tabou de télémédecine, de téléconsultation, d’intelligence artificielle. La démographie médicale nous incite à avoir recours à de telles innovations qui nous permettrons d’assurer la permanence et la continuité des soins.
L’une de ces applications doit permettre de pallier le manque de radiologues…
Au vu de leurs effectifs, nous n’avons pas la possibilité de déployer nos radiologues au service des urgences. Or une problématique s’est posée à nous : comment faire, malgré cela, une interprétation systématique des radios ? Nous avons décidé d’avoir recours à une solution d’intelligence artificielle baptisée BoneView et développée par Gleamer. Elle procède à la lecture de l’ensemble des radiographies conventionnelles et est capable de détecter des anomalies (fracture, luxation…). Elle peut aussi analyser les radiographies thoraciques et repérer, par exemple, des nodules pulmonaires ou des pneumothorax. Cela sécurise considérablement le travail de nos médecins urgentistes. La solution leur présente la radio avec des codes couleurs indiquant si une anomalie a été ou non détectée et le degré de certitude de cette analyse. L’IA précise par ailleurs la zone du corps concernée.
« L’IA peut repérer nodules pulmonaires ou pneumothorax sur les radiographies thoraciques »
Les radiologues eux-mêmes travaillent-ils avec l’appui de telles innovations ?
Oui, certaines applications d’IA sont destinées par exemple aux radiologues qui réalisent des mammographies. Les spécialistes de l’imagerie de la femme sont de moins en moins nombreux et nous pouvons avoir du mal à les attirer face à la concurrence du secteur privé. Face à ce constat, nous cherchons à faire gagner du temps à nos équipes lorsqu’elles interprètent les mammographies. La solution déployée donne un score de 0 à 98 à la radio en fonction du niveau de risque de cancer et cerne la zone concernée. Cela permet d’alerter le radiologue et de l’encourager à prescrire un examen complémentaire ou une biopsie.
Autre cas d’usage : la prise en charge de la sclérose en plaques et des maladies neurodégénératives. Pour pallier, là encore, le manque de temps de nos radiologues, une IA développée par Pixyl réalise une quantification des volumes cérébraux à partir des IRM produites. Au vu des résultats, et en prenant en compte l’âge du patient, elle peut évaluer les risques et recommander de réaliser des tests cognitifs auprès d’un neurologue ou d’un gériatre.
L’intelligence artificielle peut-elle également se prononcer sur l’intérêt qu’il y aurait, ou non, à réaliser une intervention ?
Cela va être le cas grâce à une application que nous allons prochainement déployer et qui concerne les suites d’un AVC (Accident vasculaire cérébral). Lorsqu’il survient dans les 6 heures, une thrombectomie peut être réalisée, avec pour objectif de retirer le caillot et rétablir la circulation sanguine. Si ce délai est dépassé, l’intervention n’a pas lieu et le patient est transféré en neurologie ou en gériatrie. L’IA change radicalement la donne. En analysant l’imagerie, elle indique si, même au-delà des 6 heures, cela peut valoir le coup de réaliser la thrombectomie et de tenter de déboucher l’artère. Elle précise dans le même temps le pourcentage de neurones qui pourraient être « gagnés » grâce à l’intervention. On a donc là, grâce à l’IA, une avancée formidable, qui a été validée par de nombreuses études.