16Fondés sur le modèle open source, les communs numériques représentent un moyen de tendre vers plus de souveraineté numérique tout en améliorant les services publics à l’échelle de l’Union européenne. Mais en quoi cela consiste concrètement et où en sommes-nous ?
Les communs numériques : une approche alternative de la gouvernance
Le concept de “communs numériques” trouve son origine dans les travaux de l’économiste Elinor Ostrom, récompensée d’un prix Nobel en 2009 “pour son analyse de la gouvernance économique, et en particulier, des biens communs”.
Cette théorie porte sur la façon dont des communautés gèrent des ressources partagées (pâturages, pêcheries, systèmes d’irrigation…) de manière durable et équitable, sans intervention étatique ni privatisation.
Les communs numériques reposent sur le triptyque “ressource / communauté / règles de gestion”.
Cette approche a trouvé un écho favorable dans le domaine du numérique, où les logiciels libres / open source (Linux, Apache, Firefox, WordPress, etc.) constituent un ensemble de ressources partagées et gérées par une communauté d’utilisateurs.
Ces derniers peuvent exploiter la ressource et contribuer à son enrichissement selon les règles définies par un contrat de licence. En s’appuyant sur la collaboration, la co-création et le partage ouvert, les communs numériques représentent un concept de gouvernance alternative des ressources numériques.
Comme les communs d’Ostrom, les communs numériques reposent sur le triptyque “ressource / communauté / règles de gestion”. Toutefois, contrairement aux ressources naturelles ou matérielles, les ressources numériques présentent deux caractéristiques singulières :
- Non-rivalité : l’usage de la ressource par les uns ne limite pas son usage par les autres.
- Non-exclusivité : la préservation de la ressource n’implique pas de limiter son accès à une communauté restreinte, elle peut être librement accessible.
La notion de communs numériques s’étend à d’autres ressources que les logiciels libres : elle inclut aussi les données ouvertes, des plateformes collaboratives (projets Wikimedia, OpenStreetMap…), des contenus culturels ou éducatifs placés sous licence libre, ou encore des infrastructures numériques.
Un atout pour la souveraineté numérique
Face à la dépendance technologique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis et de la Chine, les communs numériques constituent un levier essentiel pour renforcer la souveraineté numérique européenne. C’est une des conclusions du rapport “Towards a sovereign digital infrastructure of commons”, présenté en juin 2022 à l’occasion de l’Assemblée numérique. Initié par la France, ce rapport formule quatre propositions clés pour soutenir les communs numériques et l’écosystème open source :
- Créer un guichet unique pour orienter les communautés vers les financements et aides publiques.
- Lancer un appel à projet pour apporter une aide financière aux communs les plus stratégiques.
- Créer une fondation européenne pour promouvoir le développement des communs numériques.
- Mettre en place un principe de “communs numériques par défaut” dans les administrations publiques.
On citera par ailleurs la « stratégie en matière de logiciels libres 2020-2023 » de la Commission européenne, qui mise sur le modèle du code source ouvert pour donner à l’Europe “une chance de créer et de maintenir sa propre approche numérique indépendante par rapport aux géants du numérique”.
S’appuyant sur le cadre d’interopérabilité européen, la stratégie de la Commission consiste à développer une culture de travail fondée sur les principes du code source ouvert, le partage et la réutilisation. Concrètement, la Commission contribue activement aux communautés du logiciel libre et privilégie les solutions open source “lorsqu’elles sont équivalentes en matière de fonctionnalités, de coût total et de cybersécurité”.
Créer des communs numériques pour réduire la dépendance technologique aux géants du secteur.
Une IA nommée Albert
La France a inscrit sa préférence pour le modèle open source dans la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016. Celle-ci prévoit que les administrations sont tenues “[d’encourager] l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information.”
Dans ce cadre, le gouvernement met régulièrement à jour le Socle interministériel de logiciels libres (SILL), qui recense l’ensemble des logiciels libres recommandés par l’État. Pour renforcer cette démarche, le ministère de la Transformation et de la Fonction publique a lancé en novembre 2021 un plan d’action logiciels libres et communs numériques. Cette démarche poursuit trois objectifs :
- Mieux connaître, utiliser et concevoir les logiciels libres et les communs numériques
- Développer et accompagner l’ouverture et la libération des codes sources
- S’appuyer sur les logiciels libres et open source et les communs numériques pour renforcer l’attractivité de l’État-employeur auprès des talents du numérique
Enfin, on notera aussi le travail de la direction interministérielle du numérique (DINUM) pour concevoir une IA générative souveraine et open source, qui sera proposée à l’ensemble des administrations de l’État en 2024. Appelé “Albert”, cet outil représente une alternative à l’IA Claude développée par l’entreprise Anthropic (soutenue par Google et Amazon), qui est actuellement expérimentée auprès de 1 000 agents volontaires. Un exemple de plus de la volonté de créer des communs numériques pour réduire la dépendance technologique aux géants du secteur.
Vous souhaitez contribuer à la création de communs numériques ? Nous vous recommandons le tutoriel proposé par le Labo Société Numérique, de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).