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Population Health Management : les enjeux numériques de l’approche populationnelle de la santé

Population Health Management : les enjeux numériques de l’approche populationnelle de la santé

Le Population Health Management (PHM) est une approche de santé publique basée sur la donnée visant à améliorer la santé d’une population et la prise en charge des individus tout en réduisant les coûts.

Prenant en compte les déterminants de santé d’une population et les ressources disponibles sur un territoire, le PHM est une approche reposant sur la capacité à analyser de larges volumes de données et à renforcer la coordination entre les professionnels de santé.

Un programme pilote a été lancé dans cinq territoires pour en évaluer les bénéfices. Antoine Malone, responsable du pôle prospective au sein de la Fédération hospitalière de France (FHF), nous dit tout sur ce nouveau modèle qui tarde à s’installer en France.

ITPublic : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le le Population Health Management (PHM) ?

Antoine Malone : Le Population Health Management désigne un système de santé intégré, dans lequel les acteurs de santé d’un territoire communiquent et se coordonnent pour améliorer l’état de santé des habitants, grâce à une meilleure prise en charge, et au meilleur coût. Il s’agit donc de passer d’un modèle réactif à un modèle proactif, dans lequel les patients sont pris en charge au bon moment, au bon endroit et avec les bonnes ressources.

Antoine Malone, FHF.
Antoine Malone, responsable du pôle prospective au sein de la Fédération hospitalière de France (FHF).

En français, nous traduisons le Population Health Management par l’idée de responsabilité populationnelle. Ce concept est né il y a une vingtaine d’années au Québec, dans le cadre de la réforme du système de santé et des services sociaux. L’objectif poursuivi est le suivant : maintenir et améliorer la santé et le bien-être de la population d’un territoire donné.

Pourquoi faut-il faire évoluer les systèmes de santé vers une approche populationnelle ?

Les systèmes de santé traditionnels ont été pensés dans une logique réactive, essentiellement pour répondre à des besoins aigus. Or, cette approche n’est pas soutenable compte tenu de l’évolution des besoins en santé, qui se caractérisent par un développement des pathologies chroniques et un vieillissement de la population. En parallèle de l’augmentation et de la diversification des besoins en santé, nous faisons face à une raréfaction des ressources humaines et une pression très forte sur les coûts.

« Les systèmes de santé traditionnels ont été pensés dans une logique réactive qui n’est pas soutenable. »

La responsabilité populationnelle vise à répondre à ces enjeux à des coûts acceptables pour la population et dans des conditions acceptables pour les soignants. Cela passe notamment par une meilleure prévention de l’apparition des pathologies, de la dégradation de l’état de santé des personnes, ou encore de la perte d’autonomie.

De nombreux pays faisant face aux mêmes défis ont initié une transformation complète de leur système de santé pour qu’il puisse répondre à ces nouveaux enjeux. Aux États-Unis, le système de santé Kaiser, créé en 1945, comportait déjà cette notion de proactivité avec un outil de programmation opérationnelle : la “pyramide de Kaiser”, qui permet de stratifier une population en fonction du profil de risque des individus, depuis la bonne santé jusqu’au cas les plus complexes. Cet outil permet de construire efficacement une offre de services et d’organiser les soins pour les membres du réseau.

Plus récemment, la réforme Obamacare a généralisé l’approche populationnelle de la santé en y intégrant la dimension numérique, qui est essentielle pour connaître les déterminants de santé d’une population et ainsi adapter les parcours de soins. En dehors des États-Unis, il existe de nombreux exemples de systèmes de santé dont la transformation vers le PHM est avancée : au Canada, dans les pays nordiques, en Angleterre, en Catalogne ou encore au Pays basque par exemple.

Quid de la France ? Où en est la responsabilité populationnelle dans notre système de santé ?

En France, la démarche de responsabilité populationnelle est portée par la FHF (Fédération hospitalière de France, ndlr) depuis 2017. La question centrale est la suivante : comment développer un modèle de responsabilité populationnelle pertinent pour transformer le système de santé français ?

Pour passer de la théorie à la pratique, nous avons lancé en 2018 un programme pilote sur cinq territoires pionniers : l’Aube et le Sézannais, la Cornouaille, le Douaisis, les Deux-Sèvres et la Haute-Saône. Ces cinq territoires travaillent sur deux pathologies communes (le diabète et l’insuffisance cardiaque) avec les mêmes outils, mais chacun développe localement son propre programme de santé, de la prévention jusqu’à la prise en charge des patients complexes. Ce programme vise à développer un modèle opérationnel clinique permettant de tester, mesurer, et développer les actions entreprises, pour identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Concrètement, le programme consiste à stratifier les besoins de santé de nos deux populations cibles afin d’aider les acteurs de santé à construire leur programme localement.

Quels sont les enjeux numériques de la responsabilité populationnelle ?

Pour mettre en œuvre un modèle de responsabilité populationnelle, nous devons connaître les besoins de santé de la population, y compris les personnes qui ne sont pas en contact avec le système de santé. Pour ce faire, nous exploitons les données à notre disposition, à commencer par la base nationale PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information, ndlr), qui décrit de façon synthétique et standardisée l’activité médicale des établissements de santé (les interventions, les éventuelles complications, les soins de suite ou réadaptation, etc).

Il existe d’autres bases de données nationales, mais il n’est pas évident de savoir ce qu’on peut en tirer. C’est par exemple le cas de la base SNIIRAM (Système National d’Information Inter Régimes de l’Assurance Maladie, ndlr), qui recense les informations issues des remboursements : cette base est difficile d’accès et peu de statisticiens sont en mesure de l’exploiter. Les données « cliniques » présentes dans les logiciels métiers (dossiers patients informatisés des hôpitaux, logiciels de cabinets) sont pour le moment trop hétérogènes pour permettre de développer des outils à caractère « national ».

Quoi qu’il en soit, à travers l’exploitation des données, l’objectif est de stratifier une population cible afin de prévoir ce qui devrait être fait pour chaque personne et suivre le résultat de ce parcours de soin.

« Les capacités de communication clinique entre les outils de ville et les outils hospitaliers sont limitées, ce qui entrave la coordination des professionnels de santé. »

 

Puis nous devons ensuite passer des données macro aux enjeux opérationnels de gestion de la population, afin de renforcer notre capacité à appliquer les parcours de soins définis au niveau d’un territoire pour les populations cibles. Et c’est là que les choses se corsent. En effet, les capacités de communication clinique entre les outils de ville et les outils hospitaliers sont limitées, ce qui entrave la coordination des professionnels de santé. L’information sur un patient est générée par les outils métiers des différents professionnels (hôpital, médecin généraliste, infirmier libéral…) : il faudrait pouvoir extraire les données de ces différents logiciels, et que ceux-ci puissent également en recevoir. Il y a donc une problématique d’interopérabilité et de standardisation des données à résoudre pour passer à l’échelle.

Aux États-Unis, la réforme de santé Obamacare a initié un décollage du numérique en santé pour tendre vers une approche PHM. Les professionnels de santé ont par exemple l’obligation de produire des données sur les déterminants de santé de leurs patients afin d’enrichir le modèle. Par ailleurs, le système a progressivement intégré des données de plus en plus variées dans la stratification du risque, comme des données socio-économiques par exemple. Ces données permettent de programmer efficacement l’activité en déployant les actions pertinentes auprès des populations ciblées. En 2009, moins de 10 % des hôpitaux américains avaient un dossier patient électronique. Moins de 15 ans plus tard, le système est devenu très fluide et présente des résultats positifs, avec un accès accru des personnes en état de précarité au système de santé.

La responsabilité populationnelle requiert des systèmes d’information performants et une capacité d’analyse des données. C’est essentiel pour identifier les besoins de santé et les ressources disponibles au sein de chaque territoire et poursuivre un objectif commun : le maintien en santé et l’excellence clinique.

En France, nous nous appuyons largement sur le savoir expérientiel des professionnels de santé dans les territoires pour développer des actions de prévention, cibler des quartiers prioritaires, ou encore développer des programmes de citoyens ambassadeurs. L’enjeu de la PHM est le passage à l’échelle en systématisant le modèle : c’est là que le numérique est nécessaire.

« D’ici la fin de l’année 2024, nous aurons une vingtaine de territoires dans notre programme pilote de responsabilité populationnelle. »

 

Quelles sont les actions à mettre en œuvre pour développer la responsabilité populationnelle en France ?

Le modèle de responsabilité populationnelle développé par la FHF a bien fonctionné dans les cinq territoires pilotes. Trois nouveaux territoires ont rejoint le programme et, d’ici la fin de l’année 2024, nous aurons une vingtaine de territoires. Les professionnels de santé en France comprennent le sens du modèle et sont prêts à le mettre en œuvre plus largement. Il n’y a pas non plus d’obstacle technologique puisque les outils numériques permettant de faire de la gestion de la population existent à l’étranger.

Pourtant, la France accumule un retard de plus en plus important par rapport à ses voisins européens et nord-américains. Malgré une inflexion des pouvoirs publics sur l’importance de développer la prévention et la territorialisation dans le système de santé, force est de reconnaître que nous ne disposons pas encore, à l’instar de nombreux systèmes voisins, d’une stratégie nationale pour faire passer ce modèle à l’échelle en France.

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